Il y a des proverbes qui surgissent au détour d’une observation banale et nous rappellent soudain leur troublante justesse. Cette semaine, en voyant cette femme au supermarché qui tentait de dissimuler un hématome sous le fond de teint, impossible de ne pas penser à cette vieille sagesse populaire : « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. »

Elle, c’est cette personne que tout le monde connaît dans son entourage. Celle qui trouve toujours une excuse à son conjoint violent. « Il était stressé, il avait bu, ce n’est pas dans ses habitudes. » Pendant des mois, on la voit arriver au travail avec des ecchymoses qu’elle explique par des maladresses de plus en plus improbables. À chaque fois, elle retourne chez lui. À chaque fois, elle assure que cette fois-ci sera la dernière. À chaque fois, elle replonge.

Et l’entourage, impuissant, la regarde retourner puiser à cette source empoisonnée, encore et encore, comme une cruche qui s’obstine à aller chercher une eau qui la détruit un peu plus à chaque voyage.

Cette scène évoque tous ces comportements répétitifs et autodestructeurs qui jalonnent l’existence humaine. L’alcoolique qui rentre chaque soir dans le même bar pour « juste un verre » qui se transforme systématiquement en beuverie. Il sait qu’il va trop loin, se promet à chaque gueule de bois que c’est fini, et pourtant, le soir suivant, ses pas le ramènent invariablement vers le même comptoir. Comme un automate, comme une cruche qui ne peut s’empêcher de retourner au puits.

Ou encore ces relations toxiques où l’on raccroche au nez, où l’on jure que c’est terminé, où l’on bloque le numéro… pour finir par décrocher dès le lendemain quand l’autre rappelle depuis un téléphone différent. Chaque réconciliation brise un peu plus, mais on y retourne comme un papillon fasciné par la flamme qui va le consumer.

C’est cela, la vraie cruauté de ce proverbe : il ne parle pas d’accident ou de malchance, mais de cette compulsion humaine à reproduire les mêmes schémas destructeurs. Cette force mystérieuse qui pousse à retourner là où l’on sait que l’on va souffrir, à répéter les gestes qui font mal, à croire que cette fois-ci sera différente alors que l’on refait exactement la même chose.

« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse » : ce proverbe décrit cette tragédie de la répétition, cette incapacité collective à apprendre des erreurs passées. La cruche ne se brise pas par usure normale, elle se brise parce qu’elle s’obstine à aller puiser là où elle ne devrait pas aller, parce qu’elle répète inlassablement le même trajet dangereux.

Nous sommes tous, à un moment ou un autre de notre existence, cette cruche têtue. On retourne vers des personnes qui nous font du mal, on reproduit des comportements que l’on sait autodestructeurs, on emprunte les mêmes chemins qui nous ont déjà menés à l’échec. Et à chaque fois, on se dit que l’on contrôle la situation, que l’on saura s’arrêter avant la catastrophe.

Mais la vérité universelle que porte ce proverbe, c’est que la répétition finit toujours par nous rattraper. Que ce soit l’alcoolique qui pense pouvoir s’arrêter après « encore un verre », le joueur qui mise ses dernières économies en pensant se refaire, ou la femme battue qui croit aux promesses de changement de son bourreau – tous finissent par découvrir que la cruche, à force d’aller au même puits empoisonné, finit immanquablement par se briser.

Il faut parfois que la cruche se casse complètement pour comprendre qu’il fallait aller puiser ailleurs. Dans cette destruction finale se cache paradoxalement une libération : celle de pouvoir enfin changer de puits.

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