Le lipogramme est une figure de style fascinante, qui repose sur la contrainte volontaire de ne pas utiliser une ou plusieurs lettres de l’alphabet dans un texte. Loin d’être un simple exercice linguistique, il demande une grande maîtrise de la langue et une créativité sans bornes. Ce type de contrainte a été popularisé par des auteurs de l’OULIPO, un groupe d’écrivains passionnés par les jeux de langage.

Figure de style : le lipogramme

Définition du lipogramme

Le mot lipogramme vient du grec leipein, signifiant « omettre », et gramma, qui veut dire « lettre ». Un texte lipogrammatique est donc un texte dans lequel l’auteur s’impose de ne pas utiliser une ou plusieurs lettres spécifiques de l’alphabet. Cette forme de contrainte permet de tester les limites du langage et d’explorer des nouvelles manières de raconter des histoires.

Exemples célèbres de lipogrammes

L’un des exemples les plus connus de lipogramme est le roman La Disparition (1969) de Georges Pérec, où il réussit l’exploit d’écrire plus de 280 pages sans utiliser la lettre « e », pourtant la voyelle la plus fréquente dans la langue française. Cette absence devient en elle-même un élément narratif, puisque dans l’histoire, non seulement un personnage, mais aussi une lettre semble avoir disparu.

En 1972, Pérec récidive avec Les Revenentes, un texte dans lequel il n’utilise que la voyelle « e ».

Voici un extrait :

« Hélène crèche chez Estelle, près de New Helmstedt Street, entre Regent’ Street et le Belvédère… »

Cette fois-ci, la contrainte inverse produit un texte singulier, saturé de la même voyelle, ce qui en modifie le rythme et le son.

Raymond Queneau, autre figure de l’OULIPO, a lui aussi exploré le lipogramme, tout en rendant hommage à Georges Pérec avec la phrase suivante : « What a man », où aucune voyelle « e » n’apparaît.

Un exemple lipogrammatique : la fable de Nicolas Graner (1998)

Nicolas Graner propose cet exemple de fable lipogrammatique, écrite sans la lettre « e » :

« Un goupil gascon, on a dit parfois normand,
Assailli par la faim, vit au haut d’un grand mur
Un raisin mûr, fort attirant,
Qui paraissait un rubis pur.
L’animal aussitôt saliva, à l’affût.
Mais, voyant qu’il gisait trop bas :
“Ils sont trop sûrs, dit-il, bons pour un malotru !”
Aurait-il fallu qu’il grognât ? »

L’intérêt du lipogramme

Pourquoi un écrivain choisirait-il de se priver de certaines lettres, alors que le langage regorge de ressources ? La contrainte du lipogramme force l’auteur à se réinventer, à reformuler des idées, à trouver des synonymes et à explorer des structures inédites. Cet exercice littéraire est un véritable laboratoire de la langue où chaque mot est pesé, réfléchi et souvent réinventé.

Le lipogramme invite également à jouer avec le lecteur, à lui faire prendre conscience de la structure même du langage. En omettant certaines lettres, l’auteur attire l’attention sur des détails auxquels nous ne prêtons généralement pas attention.


Le lipogramme est plus qu’un simple jeu d’écriture : il met en lumière la richesse de notre langue et les possibilités infinies qu’elle offre. À travers des exemples célèbres comme ceux de Georges Pérec ou Raymond Queneau, il nous rappelle que la contrainte peut souvent être une source de créativité. Ce défi stylistique transforme l’écriture en une véritable performance artistique, où chaque mot compte.

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